Ici par hasard : Murmures sur les planches
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Pascaline Lamare
sept. 17, 2025
CRITIQUE
Théâtre
Quand les cendres s’éparpillent et qu’une sœur disparue refait surface, le temps se suspend. Ici par hasard, présentée au Périscope jusqu’au 27 septembre explore avec subtilité la douleur et l’amour, la rancune et la tendresse, dans un récit où l’humour noir devient un allié du deuil.
Olga, Macha et André se retrouvent au chalet familial pour disperser les cendres de leur sœur, Irène. Mais rien ne se déroule comme prévu : un coup de vent envoie les restes dans la fameuse bay-window-qui-a-coûté-vraiment-cher-aux-parents, et la défunte refait soudainement surface… bien vivante, ravie de retrouver les siens. C’est sur cette situation improbable que repose Ici par hasard, une pièce de Carolanne Foucher qui marie avec finesse humour noir, tendresse et tragédie.
Dès l’ouverture, l’autrice et comédienne installe le paradoxe central : on découvre Irène pleine d’énergie, animant un cours de zumba, avant de la retrouver un an après son suicide, convoquée par les cendres qui envahissent littéralement l’espace. Sur scène, les morts et les vivants se touchent, se parlent, s’enlacent. Irène a une odeur, celle de la maison d’enfance. Elle incarne ce passé que la fratrie tente de retenir, mais qui s’échappe déjà. Qui doit s’échapper.
Le propos frappe juste. Qui n’a pas rêvé une dernière fois de pouvoir parler à un disparu, de dire ou d’entendre ce qui n’a jamais été dit ? Mais la pièce rappelle une vérité crue : le deuil est un luxe réservé aux vivants. Les morts, eux, n’avancent plus. Ce constat, qui pourrait être accablant, est traité avec une intelligence rare. La pièce ne s’enferme pas dans les clichés des étapes du deuil ou des reproches convenus adressés aux suicidés. Elle s’attarde plutôt à la complexité des relations : amour, rancune, colère, tendresse se télescopent dans ce huis clos familial où l’humour agit comme un fragile rempart. Les dialogues, dont on ne peut qu’apprécier les sonorités d’une langue tout à fait contemporaines, oscillent entre l’absurde et le poignant. « Est-ce qu’on va recrever quand tu vas remourir ? », lance André, personnage bouleversant, à sa sœur retrouvée.
La mise en scène de Cédrik Lapratte-Roy joue habilement de ce va-et-vient entre réel et fantastique. Les cendres envahissent le plateau comme une métaphore de la mémoire familiale : impossible à contenir, persistante, collante, qui craque sous les pieds comme des restes de biscuits secs. Le chalet, port d’attache autant qu’espace de fractures, devient l’écrin de cette confrontation. Quant à la langue de Carolanne Foucher, elle surprend par sa maturité et son naturel. Jamais factice, elle s’ancre dans un registre contemporain, direct, très « jeune », qui accentue la crédibilité et l’universalité des échanges.
Le théâtre a cette force singulière : il ose dire ce que la société tait. Le suicide, encore entouré de tabous et d’euphémismes, trouve ici une scène pour être nommé, incarné et traversé collectivement. Là où la parole publique reste souvent engoncée dans des explications rapides ou médicalisantes, Ici par hasard ouvre un espace de nuances et de contradictions. La défunte ne se contente pas d’être une absence : Irène revient, joyeuse, pour dialoguer. Ce renversement impossible dans la vie devient possible au théâtre, qui convoque les absents et donne corps à l’inconcevable.
Cette présence fantomatique permet de revisiter la douleur des proches, avec leurs colères, leurs culpabilités et leurs éclats de tendresse. Par le rire, parfois absurde, et la poésie des dialogues, la pièce déjoue le poids du tragique et invite à respirer ensemble. On sort de cette rencontre non pas avec des réponses, mais avec la conscience que le deuil est une traversée partagée, fragile, chaotique, lumineuse par instants. C’est là que réside la puissance du théâtre : non pas expliquer le suicide, mais créer un espace où il peut enfin être dit, entendu, et même, par moments, apprivoisé.
Il faut souligner la force de la distribution. Carolanne Foucher (Irène), Mary-Lee Picknell (Olga), Odile Gagné-Roy (Macha) et Simon Beaulé-Bulman (André) incarnent une fratrie à la fois jeune, fragile et expressive, mais jamais excessive. Leur complicité est palpable : ils font véritablement famille. Tout au long de la pièce, on croit à leur connivence, à leur affection rugueuse et tendre, à leurs silences comme à leurs éclats de rire. C’est cette justesse de ton et cet équilibre subtil qui portent le texte au plus près des spectateurs.
Au final, Ici par hasard n’est pas un spectacle sur la mort, mais sur les vivants : ceux qui restent, qui rient, qui se déchirent, qui cherchent désespérément la pièce manquante d’un puzzle familial. Avec beaucoup d’empathie, la pièce rappelle que le deuil n’est pas linéaire et que l’amour peut survivre aux absences, même quand il se dit maladroitement. Touchante et profondément humaine, cette création réussit un pari délicat : faire cohabiter l’humour noir et la tendresse, sans jamais trahir la gravité du sujet.

