Ici par hasard : Au purgatoire des endeuillés

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par Josianne Desloges
22 septembre 2025
CRITIQUE
Théâtre

Histoire de fantômes contemporaine, entre comédie décalée et drame psychologique, Ici par hasard s’appuie sur deux piliers solides : le texte de Carolanne Foucher et le quatuor d’interprètes, qui créent plusieurs moments d’une grande justesse.

La pièce ouvre la saison du Théâtre Périscope, après un passage au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui au printemps 2025. Lorsque trois membres d’une fratrie viennent disperser les cendres de la benjamine au chalet familial, ils ne se doutent pas que celle-ci reviendra parmi eux. Pas d’effets ésotériques ou halloweenesques ici, elle apparaît dans une banalité désarmante : en habit de zumba, heureuse de les retrouver, et peu encline à revenir sur les circonstances l’ayant menée à s’enlever la vie.

L’habileté de l’autrice, qui a signé, entre autres, Manipuler avec soin et Dessiner dans les marges et autres activités de fantômes, repose sur un dosage d’humour décomplexé, d’architectures de pensées et d’émotions complexes ou exacerbées. Elle réussit à faire transparaître la force d’un lien dans un échange d’une apparente banalité, à infuser une bouffée d’humour salvatrice lorsque la tension atteint son paroxysme — ou une note grave dans un déferlement de digressions — et surtout, à reproduire l’étrange mélange de banal et de sublime qui enveloppe de nombreux moments de l’existence.

Âmes attachantes

Utilisant les rigidités et les failles des caractères de ses personnages, assumant leur complexité, ne tentant pas de les réduire à une seule dimension ou fonction, Carolanne Foucher leur donne un supplément d’âme qui les rend tangibles et attachants. Elle-même campe Irène, la revenante, avec candeur et chaleur. Jusqu’à ce qu’elle révèle, dans une tentative de prolonger la parenthèse qui s’est mystérieusement installée entre la vie et la mort, la profondeur de son mal-être face au monde.

Mary-Lee Picknell joue Olga, l’aînée en colère, observatrice aux paroles parfois acérées, mais au cœur immense. Odile Gagné-Roy interprète Macha, une physicienne qui oscille entre légèreté et pragmatisme, et Simon Beaulé-Bulman, André, qui s’accroche aux règles pour ordonner un monde qui le laisse facilement ému et ébloui. On croit à cette fratrie disparate, vivante, qui sait s’excuser, s’entêter et dire « je t’aime » dans un même souffle.

Au milieu des rires, des railleries et des rituels, ils abordent les épreuves traversées au cours de la dernière année. Le malaise grandit : comment conjuguer la joie d’être à nouveau réunis, le côté surréaliste de la situation et la douleur de savoir que les nouveaux souvenirs qu’ils créent s’ajouteront à ceux qu’ils doivent déjà gérer ?

Les interprètes brillent surtout dans les monologues, qui arrivent à point nommé. Des moments clés où ils mettent le doigt sur le nœud d’émotions qui les étrangle. La voix grave, tremblante, ils livrent à ces occasions les plus belles phrases du texte : des percées lumineuses qui disent le deuil, l’incompréhension, l’amour filial qui ne pardonne pas tout. L’épilogue, porté par Odile Gagné-Roy, est magnifique — et compense pour le prologue actif mais un peu vide.

Un élément scénographique, toutefois, contribue à étoffer l’univers qui nous est présenté et invite à l’interprétation : des douches de cendres tombent sur scène à trois endroits à trois moments précis, comme des sabliers qui marquent le temps emprunté entre les limbes et l’après. Lors de ces effondrements, qui saisissent, l’écoulement des fines particules semble percer des brèches dans l’entêtement où Irène s’est emmurée.

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