«Poisson glissant»: réalité fuyante

*Méta a décidé de restreindre l'accès aux actualités sur ses plateformes pour l'ensemble des utilisateurs au Canada. En signe de solidarité envers les médias d'information, qui jouent un rôle essentiel dans l'écosystème des arts vivants, nous vous encourageons à explorer nos contenus journalistiques sur notre blog, ainsi qu'à suivre les liens pour accéder directement aux entretiens et aux critiques originales.

https://www.ledevoir.com/culture/theatre/572235/critique-theatre-realite-fuyante


Christiant Saint-Pierre - Collaborateur
5 février 2020
CRITIQUE
Théâtre

Après avoir largement fréquenté les bancs d’essai, les directeurs de la compagnie La moindre des choses présentent ces jours-ci un premier spectacle Aux Écuries, une comédie philosophique intitulée Poisson glissant. Complices depuis l’École de théâtre du cégep de Saint-Hyacinthe, le metteur en scène Cédrik Lapratte-Roy et l’auteur François Ruel-Côté se sont fixé comme objectif de créer des oeuvres « qui posent par l’absurde un regard lucide sur l’existence ».

La scène d’ouverture donne le ton. Sous la pluie battante, recueillis, affligés, les cinq personnages (qui portent les mêmes noms et prénoms que leurs interprètes) prennent part aux funérailles poignantes… d’un poisson. Après tout, parmi les raisonnements implacables, mais surtout désopilants auxquels la pièce à sketchs de Ruel-Côté donne droit, il y a celui-ci : « C’est grâce aux poissons qui sont sortis de l’eau si nous sommes ici aujourd’hui. »

L’action se déroule dans une entreprise, un bureau plutôt déprimant où sévit une psychothérapeute et coach de vie survoltée (Marianne Dansereau), une femme qui se prétend guide intermédiaire de la méthode de méditation pleine conscience du Dr Chang, gourou énigmatique dont on finira par apprendre, dans un retentissant coup de théâtre, la véritable et troublante identité. Il y a là une conspiration qu’on vous laisse le soin de découvrir, mais dont on peut tout de même vous révéler qu’elle s’appuie sur des oreillettes Bluetooth et qu’elle a de profondes ramifications.

Pendant 100 minutes, en s’affranchissant le plus souvent du réel, le spectacle aborde des enjeux qui concernent le travail, la politique, la société et le commerce, mais également l’amour, l’amitié, le bonheur, la spiritualité et la mort. Comme c’est notamment le cas dans les créations du Théâtre du Futur et du Projet Bocal, la représentation adopte la logique du rêve, cultive l’inquiétante étrangeté, prône le fantastique et le fantasme. Simon Beaulé-Bulman, Audrey-Ann Tremblay, Sébastien Tessier et François Ruel-Côté nous entraînent ainsi tout naturellement du bureau au feu de camp, d’une prise d’otage à une histoire de clonage, sans oublier une incursion aussi drôle que terrifiante dans la légende de Rose Latulipe.

À vrai dire, on nage en plein délire… et on voudrait que ça ne se termine jamais. D’abord parce que les interprètes sont en grande forme et que la mise en scène de Lapratte-Roy est sans temps mort, mais également parce que les fantasmes de la bande sont aussi improbables que signifiants, aussi absurdes que philosophiques, aussi parodiques que critiques, aussi abscons que révélateurs. Vous aurez compris qu’on a déjà hâte d’entrer dans leur prochaine folle aventure.